Humpf. Tendant le bras vers un morceau de couette qu'il tira vers lui d'un coup sec, Sirius tenta en vain de lutter le froid qui s'insinuait de manière traîtresse jusque dans sa chambre. Pourtant, aucune fenêtre n'était ouverte, mais il sentait sur sa peau comme un souffle glacial qui l'avait réveillé. Se tournant légèrement dans l'espoir de découvrir la cause de cela, il tomba nez à nez avec une ravissante brune, dont le nez piqueté de discrètes tâches de rousseur frôlait son épaule. Il ne se souvenait pas exactement de sa soirée mais il se souvenait d'elle, enfin à peu près. Katia ? Maria ? Amanda ? Ce n'était même pas de la mauvaise foi ou de la cruauté, mais il avait une fâcheuse tendance à oublier tout ce qui ne le concernait pas directement. Pour preuve, James lui avait vertement reproché d'avoir oublié la date d'anniversaire d'Evans l'année dernière, alors que cela faisait des années qu'il la côtoyait. Mais soit dit en passant ce n'était pas vraiment une bonne chose de savoir qu'elle vampirisait son ami depuis un temps tellement long qu'il en était devenu indigne de ne pas tout connaître de sa vie. D'ailleurs, quelle était sa date de naissance, finalement ? Bah, aucune importance. Quelque part entre janvier et décembre, sans doute. Mais ce qu'il savait pertinemment, c'était ceci : la respiration de sa conquête d'un soir l'avait tiré d'un profond sommeil dans lequel il dominait le monde en compagnie de James. Ce qui n'était pas très différent d ce qu'ils faisaient à Poudlard mais qui avait au moins le mérite de se passer de nos jours, et non durant une époque bénie mais achevée. Bref, pour tout résumer : mademoiselle l'inconnue avait tout gâché. Soupirant de manière faussement dramatique, Sirius se dit que c'était la fin du monde. Son sommeil, c'était sacré, quel que soit l'intérêt physique de l'élément perturbateur. Certes la jeune femme était magnifique mais elle avait un souffle bien trop froid pour qu'il puisse lui demander de l'épouser, comme certain cornu qu'il ne nommerait pas avec sa rouquine. Dommage, dire qu'il en était si proche, au moins à trois pour cent. Alors qu'il fermait les yeux pour tenter de se rendormir, non sans avoir écarté la gêneuse d'un coup d'épaule qui ne servit à rien si ce n'est à la coller encore plus contre lui, une sorte d'animal de dix tonnes monta les escaliers. Il savait reconnaître ce genre de démarche, l'ayant parfois à ses heures perdues : entre bestiaux en surpoids, l'instinct est toujours là pour aider. Cela ne pouvait être, au choix, que James ayant trois grammes d'alcool dans le sang (probable de manière générale mais impossible dans la minute, il devait prendre le petit déjeuner dominical avec sa chère et tendre), Lily devenue obèse (sous-entendrait de une que Lily vienne chez lui et de deux qu'elle... vienne chez lui, ce n'était jamais arrivé en fait, tiens, elle ne l'aimait pas ? oh et puis qu'elle devienne obèse aussi, mais allez savoir les mystères de la génétique), Remus sous sa forme loup-garou (si tant est qu'il ait réussi à transplaner de la forêt et que surtout, surtout, Sirius n'ait pas été invité à la transformation, hautement improbable et sujet à une grosse crise de "non mais vous êtes tous des méchants"), ou... Emmeline. Manifestement, il s'agissait de la dernière solution. « Oh, salut darling. Fais un peu de place dans le lit, tu veux ? » Ravi d'être éloigné du glaçon, tel étant ainsi le surnom qu'il avait affublé à celle qui partageait son lit, Sirius se lova encore plus sous la couette. Ce devait être un problème capillaire : les rousses étaient comme le feu, donc brûlaient, les brunes étaient comme la nuit, donc glaçaient, et les blondes étaient comme le soleil, comme il fallait. Brave Emmeline, peut-être devrait-il lui faire part de ses théories et lui expliquer à quel point elle avait de la chance d'être comme elle était. Quoique. Elle serait capable de se sentir flattée, or Sirius ne flattait personne d'autre que lui-même. Tant pis, elle n'aurait rien du tout. Entendant les gémissements de sa conquête qui se réveillait, manifestement peu enthousiaste d'avoir de la compagnie, il enchaîna : « Un petit effort, c'est censé être un lit trois places m'a dit le vendeur. J'admets que Blondie n'est pas spécifiquement un squelette mais je suis sûr qu'elle ne prend pas trop de pl... » Il fut coupé dans son élan par la dite Blondie qui se glissa entre les deux tourtereaux et qui, en voulant garder son équilibre, lui coupa la respiration en s'appuyant contre lui. Elle se laissa finalement retomber sur les oreilles et Sirius put reprendre son souffle et arrêter de mourir. « J’opère juste une retraite stratégique, le temps que l’ennemi pense avoir gagné. » Il sourit, même si dans le noir personne ne pouvait le voir. Juste quelques rayons de lumière filtraient des rideaux opaques à demi entrouverts. « On fuit la bataille, mademoiselle la chasseuse de vilains ? » Emmeline Auror était une grande surprise, pas forcément une mauvaise mais assez surprenant pour que Sirius ricane en l'imaginant en train de poursuivre les sorciers coupables à coup d'insultes imagées et de divers noms d'oiseaux. Emmeline n'était pas ce que l'on pouvait appeler une personne calme et digne. « Ce qui m'amène à la question suivante : est-ce que tu dois toujours fuir les batailles chez moi ? Tu n'as pas des amis, de la famille, une pauvre victime acceptant les menaces ou le chantage ? Je suis un peu occupé, vois-tu... » La jeune femme dans le lit s'éveillait tout à fait, posant son regard vert sur les deux amis en train de discuter. Surprise, choc, colère, tout y passa. Et finalement... « Qu'est-ce que vous faites ? Et c'est qui, elle ? » Sirius s'étira, magnanime. Après tout Emmeline venait tout de même de s'inviter dans une... réunion privée. « Une sans-abri que je recueille par pure bonté d'âme. Tu peux te rendormir ou aller dormir dans la chambre d'amis, si tu veux. La connaissant, elle ne bougera pas, et connaissant son poids, tu ne la bougeras pas. » Petite pique qu'elle allait saisir au vol, indubitablement. Ça faisait du bien de pouvoir titiller autrui dès le matin, surtout ceux qui réagissaient au quart de tour.

« Merde, elle a le souffle glacé ton invitée. Elle est déjà morte ou quoi ? » Sirius referma les yeux et s'appliqua à enfoncer Emmeline dans le matelas pour la déloger de son ventre à lui, pauvre chose écrasée par des mains qui auraient bien besoin d'être manucurées. Il était persuadé que James lui demanderait si un hibou mal luné l'avait griffé. Il ne prit pas la peine de répondre, car il estimait trop la blonde pour penser que sa tignasse débordait sur sa cervelle : si euh, Charlie, appelons-là Charlie, respirait encore suffisamment pour se mouvoir et les écraser, alors elle était en vie. CQSVD - ce que Sirius vous démontrait, évidemment. « Retraite stratégique, j’ai dit : je compte bien récupérer mon territoire sous peu. » Il bâilla nonchalamment tout en ramenant la couverture à lui comme un gamin. Parce qu'à trois dans le lit et deux filles contre un homme, il fallait bien montrer qui était le chef, oh. Et il était depuis trop longtemps victime de l'aura glaciale de sa conquête pour s'embêter à partager son unique source de chaleur. « Comme la fois où James t'a emprunté ton devoir de Botanique et que tu as clamé haut et fort que tu allais le récupérer ? Désolé, mais il me semble qu'il a eu un E et toi un D. » Il ricana, peu enclin à compatir avec la plus grosse tempête essuyée en quatrième année. Emmeline avait fini par recopier un devoir à la va-vite, en désespoir de cause, James ayant omis de préciser que le devoir "disparu" était en réalité celui qu'il avait rendu en modifiant le nom. Si la Gryffondor avait cru compter sur Sirius pour l'aider, elle s'y était brûlé les ailes : entre un élève lambda et Emmeline, le choix était vite fait. Entre Emmeline et James aussi. « Cela dit, je ne m'explique toujours pas comment tu as pu écrire un devoir qui méritait un E. En Botanique. » Il avait appuyé sur ces deux mots comme s'il avait dit marsouin et pomme de terre. Parce qu'Emmeline Vance qui se débrouillait en Botanique c'était comme demander à Evans de se teindre en brune : impossible et vaguement effrayant. Ce qui n'expliquait pas ce qu'elle faisait dans son lit, car il ne pensait pas y faire pousser des Mandragores. Quoique, à vérifier. « C’est parce que selon mes critères extrêmement sélectifs, tu as été sélectionné comme le meilleur choix. Sois honoré d’être mon ami le plus célibataire, avec le lit le plus confortable et le plus m… » Elle bâilla et répéta son mot, cette fois entièrement. Sirius marmonna ce qui pouvait ressembler à "je crois surtout que je suis le seul qui parvient à te supporter" et reçu une légère tape sur le crâne. Enfin, légère. Elle était censée être légère sans doute mais le sommeil aplatit le bras d'Emmeline et il reçut l'équivalent d'une batte de Quidditch sur son pauvre crâne. Quelle journée, Moony, quelle journée. Oui, il avait pris l'habitude de citer Remus comme saint patron de ses aventures. Il était persuadé qu'il serait immensément flatté de le savoir. Trop fatigué, il ne prit pas la peine de faire payer son geste à la mécréante, mais ça ne saurait tarder. « Qu'est-ce que vous faites ? Et c'est qui, elle ? » Il en aurait presque oublié celle qui dormait paisiblement à côté d'eux. La réponse d'Emmeline ne tarda pas à fuser et il se retint de rire en avance, parce que oui, il était gentleman. « Oh, j’ai oublié d’ajouter qu’on rencontrait toujours des gens de tout horizon dans ton lit. » Le Maraudeur fit un large geste du bras désignant à la fois "Charlie" et Emmeline : « Je confirme. » Il fallait vraiment qu'il investisse dans quelque chose, il ne savait pas encore quoi. Une tapette à mouche, un autre lit, une autre maison. Mais il ne pouvait pas continuer d'accueillir toute la misère du monde dans ses quelques mètres carrés de matelas. Il allait bâtir une maison miniature avec une gamelle et une plaque gravée au nom d'Emmeline et il lui en ferait cadeau pour la Saint-Valentin. Excellente idée, elle allait adorer - et le laisser tranquille quand il concluait une relation sous de telles auspices favorables.  « D’ailleurs, si vous voulez faire des trucs, vous gênez pas pour moi : y a plein de chambres d’amis dans la maison. » Ah tiens, oui. Il passait tellement peu de temps à visiter les autres pièces de sa maison qu'il en avait oublié cette commodité. Peut-être allait-il finalement opter pour une chambre-maison pour Emmeline, à défaut d'une niche. Mais il garderait les gamelles car il trouvait le concept intéressant et accommodant pour Emmeline qui mangeait n'importe quoi n'importe quand, véridique. Pire que lui et c'était quelque chose d'assez effrayant en soi. « Pardon ? Sirius, qu'est-ce qu'elle fout là ? Réponds ! » Il soupira. Elle devenait vulgaire et il ne voulait pas qu'ils en arrivent aux mains, surtout elles. Parce que lui n'allait quand même pas s'abaisser à ça, à la rigueur il inviterait James pour faire des paris. Ou quoique non, Evans les tuerait. Il ne fallait pas prendre à la légère les tendances meurtrières d'une fille capable d'assommer son petit ami simplement avec une casserole vide. Pauvre James, ça resterait sans doute la pire honte de sa vie. « Allons, Em', les chambres d'amis c'est fait pour les amis. Tu sais bien que toi et moi on est mariés depuis deux ans. » Il esquissa un sourire diabolique en entendant "Charlie" pousser des cris de rage et se lever du lit pour prendre ses affaires. La porte claqua et le silence envahit la pièce durant quelques secondes, avant qu'il ne se retourne et écarte bras et jambes en étoile de mer avec un soupir de bonheur, poussant la jeune fille au passage. « De la place, enfin ! Cela dit, la prochaine fois abstiens-toi de ruiner mes matinées, je t'en serais reconnaissant. »